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Que sont devenues ces veuves laissées par des anciens présidents africains ?

L’investigateur 16/11/2023 à 12:40

Ils ont été héros, martyrs et parfois bourreaux… Les années ont passé, leurs épouses leur ont survécu. Habituées aux ors des palais, les anciennes premières dames d’Afrique ont dû apprendre à vivre loin des projecteurs, avec un nom souvent lourd à porter.

Quand elle a su que nous souhaitions la rencontrer, Andrée Kourouma Touré, 85 ans, a rappelé du portable de sa gouvernante. Puis un jeu de piste s’est engagé dans les rues de Rabat. Sur ses indications, un taxi nous a d’abord conduits dans le très chic quartier des ambassades, puis au centre commercial Soussi, d’où nous avons fait le reste du chemin à pied. Méfiantes, les anciennes premières dames ne se laissent pas facilement approcher.
Grande (au moins 1,80 m), le geste majestueux, l’épouse du premier président guinéen se présente comme « une veuve qui vit simplement auprès de ses enfants et petits-enfants », essentiellement à Conakry, même si elle effectue souvent de longs séjours au Maroc pour des raisons de santé. Ici, chez sa fille, Aminata Touré, une femme d’affaires bien introduite dans les milieux équato-guinéens, Andrée Kourouma Touré se repose. À Conakry, elle entretient la mémoire d’Ahmed Sékou Touré, mort en 1984. Elle s’est créé un coin musé, où sont exposées les photos du défunt avec presque tous les grands hommes de l’époque, dont le général de Gaulle. « L’Histoire, dit-elle, a été réécrite et les faits déformés après la mort de mon mari. »
Les Guinéens lui vouent un profond respect, qu’elle croit devoir à Sékou Touré. Elle décrit avec force détails ses sorties au marché de Conakry et les séances de photos avec les vendeuses. Elle entretient des relations correctes avec les autorités actuelles, mais ne se fait guère d’illusions : elles non plus ne lui restitueront pas le peu de biens laissés par son mari. Une ombre furtive lui traverse le visage et elle repasse, sans doute pour la énième fois, le film des événements. Son mari tombe malade un vendredi. Quelques jours plus tard, il décède, et sa famille est arrêtée. Andrée Kourouma Touré fera quatre ans de prison pour crimes contre l’humanité. Aujourd’hui, elle déclare vivre d’une pension dérisoire, accordée en 2007. « Mais qu’importe. Sékou Touré n’accordait aucune importance au matériel. Cela m’a aidée. »

Andrée Kourouma Touré devient fleur bleue à l’évocation de son union avec l’ancien président guinéen. Elle se rappelle s’être mariée le 18 juin 1953, le même jour que Coretta Scott et Martin Luther King.
Réconciliée
Elle devient fleur bleue à l’évocation de cette union. Elle rappelle s’être mariée le 18 juin 1953, le même jour que Coretta Scott et Martin Luther King, et affirme entendre encore la voix de son mari, hilare : « Nous avons répondu à l’appel du 18 juin ! » Elle aime aussi à évoquer ses relations avec deux autres ex-premières dames, Mariem Ould Daddah et Germaine Ahidjo, qu’elle espère bien recevoir un jour à Conakry.
Amies du vivant de leurs conjoints, ces deux dernières ont conservé des liens très forts. Réconciliée tant avec le gouvernement (elle dispose d’un bureau à la présidence) qu’avec le peuple mauritanien, Mariem a obtenu la réhabilitation de la mémoire de son époux, le président Moktar Ould Daddah, décédé en 2003, deux ans seulement après son retour de vingt-trois années d’exil.
La seconde n’a pas eu la même chance. Vingt-trois ans après le décès d’Ahmadou Ahidjo, elle n’est toujours pas parvenue à trouver un terrain d’entente avec le gouvernement camerounais pour le rapatriement de sa dépouille. À 82 ans, Germaine Ahidjo estime avoir tout dit sur le sujet et se préoccupe avant tout de sa santé. Cette année encore, malgré de vives douleurs articulaires, elle a tenu à fêter la Tabaski à Dakar, où elle vit depuis trente ans. L’occasion de se recueillir sur la tombe de son époux – un moment douloureux pour l’ex-première dame toujours déchue de sa nationalité camerounaise. Germaine Ahidjo a récemment passé trois mois à Nice, en compagnie de sa petite-fille Farida, analyste financier, et de son gendre Bello, fils de l’ancien Premier ministre nigérien, Amadou Cheiffou. Ni milliardaire ni indigente, la famille dit avoir vécu jusqu’ici sans le soutien financier du Cameroun (leurs biens – une dizaine de villas à Yaoundé et Douala – ont été confisqués).
Héros
À 76 ans, Maria Eugénia Neto se dit, elle, redevable à bien des personnes et des pays. Épouse du héros de l’indépendance de l’Angola, elle n’a pas oublié que Mohammed V, grand-père de l’actuel souverain chérifien, est le premier à les avoir aidés en leur offrant un passeport marocain, quand Agostinho Neto, incarcéré au Portugal, s’est évadé. Dans un français impeccable, elle explique avoir récemment présenté à Rabat une réédition des œuvres complètes de l’ancien président, qu’elle considère comme un poète accompli.
Trente-trois ans après le décès de son époux, rencontré alors qu’elle n’en avait que 16, elle vit toujours à Luanda, loin de son Portugal natal. Et pourtant, ça n’a pas toujours été facile… « Mon mari avait conquis un pays immensément riche, mais n’avait pas laissé un sou pour sa famille. »https://www.jeuneafrique.com/139300/societe/que-sont-devenues-les-veuves-des-anciens-pr-sidents-africains/




 
 

 
 
 

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