Bénin

Conduite de camion gros porteurs : un métier qui favorise la polygamie ?

L’investigateur 4/10/2022 à 01:16

Le quotidien du travailleur n’est aisé dans aucun secteur. Ils sont très nombreux à avoir embrassé la carrière de conducteur de véhicules poids lourds. Camionneurs de profession donc, chaque jour entre le Port Autonome de Cotonou (PAC) et l’extérieur du pays, ils sont toujours chargés de marchandises. Côtoyer le danger au quotidien, les aléas climatiques, la faim et autres difficultés dans l’exercice de son métier, c’est leur tasse de thé. Plusieurs d’entre eux ont accepté bien volontiers de se confier au micro de la rédaction de votre journal, à la faveur de cette enquête sur leur corporation.

Il est 19h au quartier Zongo de Cotonou à proximité de Blue zone. A cette heure de la journée où le soleil a dressé son lit, trois camions en file indienne ont déjà stationné. D’autres se faufilent encore et cherchent l’endroit idéal où prendre place. De toutes les façons, ils sont déjà à destination. Certains se trouvent contraints d’occuper le trottoir en raison de l’insuffisance du périmètre du parking.

AMADOU Issa, camionneur de profession depuis quelques années, la quarantaine environ, vêtu d’une tenue locale communément appellée "bomba" cousue avec un pagne traditionnel décoloré, déchiré au niveau du pantalon et du torse (ndlr, sans doute à cause de l’âge du tissu, déjà fatigué puisqu’étant sur-utilisé), est sur place. L’homme a accepté de se confier à nous sur ce qui constitue son quotidien. C’est donc le visage serré en signe de dédain au regard des difficultés rencontrées quotidiennement dans son travail, qu’il commence son récit.

« Sans vous mentir, même avec la maîtrise du volant que j’ai, je rencontre quand même des fois des difficultés en conduisant lorsqu’il y a de petits véhicules dans la circulation ». Selon lui, ne devient pas conducteur de camion qui veut mais qui peut car la vigilance et l’attention du chauffeur sont indispensables « c’est une question de vigilance. Vigilance en ce sens qu’on doit faire très attention à ne pas cogner les petits véhicules mais le problème à ce niveau c’est que les conducteurs au Benin conduisent comme ils veulent » déclare-t-il en serrant ses poings. Par ailleurs, la proximité du Port Autonome de Cotonou (PAC) apporte aussi des problèmes. « En dehors de ça il y a aussi les problèmes de blocage au niveau du PAC, de la Douane, du transit routier et/ou ferroviaire avec le Niger et le Togo » ajoute Issa.

L’état des véhicules et la dégradation de certaines routes...

En plus des problèmes de circulation ils sont aussi confrontés à des problèmes techniques. A Scoa Gbeto devant une Société de transport export, se tient ATIDEHOU Luc camionneur de cette société. Il est vêtu d’un tee-shirt blanc surmonté d’un Jean de couleur grise avec des sandalettes dont l’état en dit long sur ses difficultés à renouveler sa "garde robe". « Si tu décides de louer tes services à une personne et au cours de ton travail ton camion à une panne, c’est à toi-même de te débrouiller. Vous allez voir plein de camions aujourd’hui dans des états délabrés c’est pour ça » se plaint ATIDEHOU Luc.

Un peu plus loin dans le quartier de Scoa Gbeto dans sa balade KAPKONOU Florent un ex-conducteur de camion du PAC, les yeux dirigés vers le ciel, avec la mine renfrognée rappelle les difficultés rencontrées par le passé, alors qu’il était employé. « Quand j’y pense aujourd’hui ça me fait rire, vraiment le travail là était fatiguant et difficile. Je n’avais presque jamais de temps de repos. Bon, c’est vrai qu’on était deux dans le camion et qu’on changeait souvent pour conduire mais ça diminuait à peine la difficulté. J’avais des courbatures, des maux de tête et la migraine tous les jours et franchement pour décharger les colis c’était un travail de corps très dur ». Au Port, de nombreux problèmes sont aussi à noter. Les majeurs portent sur les obstacles relatifs aux infrastructures et ceux liés à l’organisation. Ils se rencontrent aussi bien dans le sens Import que dans celui Export.


Grandes distances et vie de couple ne font pas bon ménage ...

Dans le rang de ces chauffeurs, peu sont ceux qui vivent avec une seule femme. Etant sur la voie à tout moment, ils sont obligés d’avoir des femmes dans presque toutes les grandes villes du Bénin pour satisfaire leur libido. « Moi, j’ai actuellement deux femmes au village. Mais j’ai trois femmes qui m’ont fait d’enfants dans trois autres villes. Une est à Parakou, une autre à Malanville et la troisième à Niamey au Niger » confesse Codjo Agbokou chauffeur gros porteur résident à Cotonou en transit sur Diffa au Niger assis dans un fauteuil, un plat de riz entre les mains. « Au début, je n’avais jamais pensé avoir autant de femmes, mais à ma grande surprise tout comme de l’amusement, c’est arrivé. Il arrive des moments, où je passe deux mois sans voir ma famille ici à Cotonou », a-t-il ajouté Codjo pour se justifier.

Ces hommes sont exposés à des maladies sexuellement transmissibles du fait qu’ils se voient obliger de sortir avec plusieurs femmes dans plusieurs endroits, selon leurs trajets. L’absence de ceux-ci dans leurs vrais foyers expose leurs conjointes à des situations d’adultère. « C’est vrai, j’ai vu les femmes de plusieurs collègues les abandonner à cause des voyages. Moi, mes deux femmes sont avec mes parents au village, là elles se sentent un peu sous la surveillance », explique Abdoulaye, chauffeur gros porteur et amis de Codjo. Ainsi, ceux qui se marient nouvellement sont parfois obligés de voyager avec leurs femmes.


Parfois, la proie des braqueurs et accidents de la route ...

Transportant des marchandises qui coûtent des millions, les conducteurs de gros porteurs font fréquemment objet de braquage et de vol de marchandises. Lorsque ces cas se présentent, ils ont d’office de mailles à partir avec la justice au cas où les braqueurs épargnent leur vie. Très souvent, ils sont victimes des accidents de circulation qui les rendent infirmes pour toute leur vie, ou même causent la mort de nombreux d’entre eux. Au cas où, ce sont eux qui sont coupables d’un cas d’accident, ils subissent régulièrement la vindicte populaire. Raison pour laquelle plusieurs cherchent des voies et moyens pour se sauver dans ces cas, « vous voyez cette bague, c’est un gris-gris contre accident, j’ai aussi un talisman à la hanche, ça là, si jamais un accident arrivait, moi je disparais pour me retrouver dans la brousse », confie Abdoulaye.

Chaque voyage se présente comme une rude épreuve morale pour épouses, enfants et parents de ceux qui exercent ce métier. Comme le témoigne Chimène Zossou épouse d’un chauffeur de gros porteur, « chaque fois que mon mari prendre le camion et voyage, je me mets à prier pour que Dieu le protège jusqu’à son retour. C’est un travail difficile, mais voilà que c’est ça qu’il a appris ». En plus de tous ces risques, peu de ces chauffeurs sont déclarés à la caisse nationale se sécurité sociale (Cnss) pour une retraite digne du nom. En cas de maladie ou d’infirmité suite à un accident, ils sont pour la plupart abandonnés à leur propre sort.

Par Alexandre Hodonou



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