Bénin

Chronique : Boni Yayi, le dernier mythe politique béninois

L’investigateur 21/12/2020 à 10:58

Comment rencontrer l’Arlésienne de l’histoire politique du Bénin si l’on gomme des Livres d’or, les épisodes sulfureux de cette décennie d’invention du politique ? Frédéric Grah Mel, réputé pour être le grand biographe du Président Félix Houphouët-Boigny, sait bien comment cataloguer volumes sur volumes, la vie de l’homme d’Etat que fut le "bélier" baoulé, grand fondateur de la Côte d’Ivoire moderne.

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Mais depuis que ce qui est connu pour être l’épopée des « pères fondateurs » a été mis en biais dans la mémoire collective après les vagues de parricide civile des années 1990, rares sont devenus les dirigeants qui s’offrent des sorties glorieuses dans le microcosme africain francophone. Si le cas du Général Mathieu Kérékou tient lieu d’exception, celui du Président Boni Yayi s’énonce comme une invention originale des temps démocratiques.

Des livres d’histoire ont glorifié ces « hommes forts », des films documentaires ont retracé leurs itinéraires, des logos anodins et des sagesses circulent encore et rappellent leurs boutades, leurs frasques, leurs passions et leurs actions…Du capital symbolique dont sont crédités ces illustres et qui n’a cessé d’enrichir les archives de la littérature politique africaine.

Au Bénin, l’ère du renouveau démocratique devra davantage s’enrichir des faits et gestes du Président Boni Yayi. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il est en passe, sans prophétie aucune, de devenir un mythe national. Le troisième Président de l’ère démocratique aura presque tout appris au Béninois, mais surtout à redécouvrir la politique.

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En 2006, l’économiste-banquier, arrivé en pompier-libérateur au terme d’un sacre électoral jamais atteint, s’était paré de tous ses leviers de légitimité pour dérouler son mandat. A peine eut-il épuisé son temps de grâce qu’il était devenu comme le personnage central de l’univers politique. On s’était surpris en effet de ce passage en vitesse éclaire de son premier quinquennat.

Mais bien plus, c’est le rouleau compresseur qu’il met en route qui paraît d’un gabarit monstrueux au point qu’il avait à la fois conquis et dérouté les imaginaires collectifs des Béninois, jadis habitués à la routine facile et paresseuse et tapis dans la jalousie feutrée de céder les vielles habitudes aux nouvelles. L’acteur Boni Yayi, c’est celui là qui apprend à s’assurer un destin politique sur le tas, à l’aune non seulement de son ombre propre, mais aussi en regard de la virulence des polémiques populaires. Et tant pis pour les feux des critiques d’une classe politique désenchantée, horripilée par la course de fonds d’un homme inégalablement pressé ; tant pis aussi pour la rhétorique insultante d’une presse teigneuse en quête du sensationnel, l’acteur qui survit à ces coups répétitifs avait pris d’énormes longueurs d’avance sur ses pairs, pardon le gratin politique qui n’avait jusqu’alors servi d’alternatives valables. La victoire de 2011, un chaos électoral retentissant, en donne l’illustration patente. Son maniement imprévisible de l’art du politique le rend incollable dans le champ de la lutte politique. Il sait inventer et créer des registres pour disqualifier l’adversaire.

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La leçon reste que l’adversaire politique n’est pas en réalité celui qui émeut Boni Yayi ; bien au contraire, son challenge est ailleurs. Il est dans les défis du pacte sociétal qui le lie solidement au peuple. Et s’il arrive qu’il soit parfois en butte à l’hostilité de ce dernier sur une question donnée, la sagesse de la renonciation l’habite.
Bref, on gardera de lui l’image d’un Président qui fonde son action sur un discours plutôt technique et qui opère selon une démarche inhabituelle : les descentes multiples sur les lieux de chantiers, les limogeages-sanctions, les interventions médiatiques spontanées, les nombreuses marches présidentielles dans la rue, les discours émotionnels et pathétiques, les voyages de conquête diplomatique, etc. Un style qui s’offre comme une rupture dans la forme avec les registres iconoclastes du passé ; mais qui dans le fond renseigne sur son efficacité.

Concrètement, ce style présidentiel de pilotage du pouvoir contient quelque chose d’axiologique, de subjuguant, de stimulant. Avec lui, les Béninois ont presque tout appris mais surtout à déconstruire la fonction présidentielle, à la défaire de sa nébuleuse et diffuse conception qui scellait une césure diamétrale entre gouvernants et gouvernés, entre dominants et dominés. Le corolaire notable est que l’exercice du pouvoir du Président Boni Yayi a davantage libéralisé l’espace public béninois. Mieux, le discours politique s’est densifié, reconstruit et pompeusement ventilé par les médias et la classe politique. Loin d’engendrer un mouvement uniforme, l’exercice du pouvoir par le Président Boni Yayi, dans ses succès ou insuccès, a eu tout de même la vertu de redimensionner l’arène politique. Aujourd’hui, on semble plus ou moins – si ont veut vraiment le voir – sur le chemin d’une rationalisation du système partisan, dans un schéma de coalitions qui configure un bipartisme comme à l’Allemand, avec des partis sous la forme majorité / opposition.

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Boni Yayi n’est pas un idéologue proclamé, même si les traces et les actions qu’il lègue à la postérité semblent fortement mettre en lumière l’idéologie qui les sous-tend. Du changement à la refondation, l’esprit du développement incarné reste constant. Même aux pires moments où tout semble basculer, où les rudes épreuves du pouvoir enseignent à grandir, où la confiance et la sérénité deviennent les ultimes remparts, même des grands du monde, l’acteur reste intact. Il sait se sortir grandi. Soit, il n’est sans doute pas l’homme idéal du sérail étatique, mais il pourrait incarner un modèle mythique de la légende béninoise à définir…sait-on jamais.

Romuald Boko & Toussaint Kounouho

Source : Magazine L’autre Afrique, 2017




 
 

 
 
 

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