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Suspension des marchandises à destination du Niger, « un saut dans un abîme sans fond », selon Djènontin

L’investigateur 30/10/2023 à 13:58

SUSPENSION DES IMPORTATIONS DES MARCHANDISES A DESTINATION DU NIGER DU 25 OCTOBRE 2023 : SUICIDE VOLONTAIRE OU CHANTAGE ?
Le 25 octobre 2023, le Directeur Général du Port Autonome de Cotonou (DG/PAC) a, par l’avis N°628/23/PAC/DOPS/DI/DAF/DCM/DAJC, suspendu jusqu’à nouvel ordre, pour des raisons d’ordre opérationnel et de congestion, les chargements des marchandises après le 25 octobre 2023 aux ports d’origine à destination du Niger au port de Cotonou.
Par ailleurs, la note circulaire N°1923/23/PAC/DG/DCM/DFAC/SC du 18 octobre 2023 propose trois régimes aux opérateurs économiques dont les cargaisons sont en instance d’enlèvement sur le territoire béninois.
Il s’agit de :
La mise en consommation au Bénin
Le changement d’itinéraire / destination
Le transbordement / la réexportation.

Cette décision unilatérale de l’autorité portuaire est un saut dans un abîme sans fond. Elle est juridiquement risquée et financièrement intenable.
Après la fermeture illégale, inique des frontières du Bénin avec le Niger sous le couvert de la CEDEAO qui a violé elle-même ses propres textes, voilà à nouveau le Bénin au-devant de la scène internationale par un avis du Directeur Général du Port Autonome de Cotonou, qui interdit au pays frère du Niger de faire passer ses importations par le port de Cotonou qui est son port naturel.
A l’examen de cet avis, il se dégage que le Gouvernement béninois expose au monde sa violation récurrente des lois internes ainsi que les conventions et accords régionaux et internationaux.
Juridiquement, la décision du DG/PAC est risquée puis que le Niger est un pays de l’hinterland jouissant de solides droits couverts par des conventions internationales. Aussi, l’exploitation du port de Cotonou par le Niger est-elle encadrée par une ordonnance lui conférant des droits et privilèges officiellement reconnus par les deux pays depuis bientôt un demi-siècle.
Cette tendance du régime TALON à détricoter tous les principes universellement admis et à brouiller les relations du Bénin avec tous ses voisins coûtera chère au Bénin et aux Béninois.
Les autorités béninoises ne pourraient se permettre une telle aventure sans plonger le Bénin dans un contentieux commercial international à issue incertaine et désastreuse pour l’image et le trésor du pays !
En effet, les relations internationales entre les différents pays du monde ont, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale connu une normalisation par des codifications contenues dans diverses conventions ou autres instruments juridiques adoptés et ratifiés par les Etats composant l’Organisation des Nations Unies.
Certaines organisations comme l’Organisation Mondiale du Commerce, l’Organisation Maritime Internationale, l’Organisation Mondiale de la Douane s’occupent des règles régissant le commerce entre les pays, la sécurité et la sûreté des transports maritimes et de fournir aux gouvernements des renseignements sur leurs besoins afin de mettre en œuvre les résultats qui pourraient découler des négociations sur la facilitation des échanges du point de vue des mesures concrètes à mettre en place.
Cette mission de régulation des divers organes des Nations Unies vise à éviter aux pays d’évoluer comme dans une jungle.
Pour utilement opiner sur l’avis du DG/PAC ci-dessus cité, nous allons interroger les différents instruments juridiques, conventions et accords auxquels le Bénin a souscrit.
L’un des principes de l’OMC, c’est de donner aux faibles les moyens de se faire entendre.
Les petits pays seraient plus faibles sans l’OMC. Les différences dans le pouvoir de négociation sont atténuées par des règles convenues, la prise de décision par consensus et la formation de coalition.
Les coalitions permettent aux pays en développement de mieux faire entendre leur voix dans les négociations. Les accords négociés obligent tous les pays, y compris les plus forts, à se conformer aux règles. La règle de droit remplace la loi du plus fort.
C’est malheureusement la posture actuelle du gouvernement béninois qui applique la loi du plus fort au lieu de la règle du droit. En effet, le Niger est un pays de l’hinterland sans façade maritime. En tant que tel, il jouit de privilèges contenus dans plusieurs conventions.
L’hinterland (l’arrière-pays) est l’aire d’attraction et de desserte continentale d’un port ou en termes économiques son aire de marché continentale.
Le port de Cotonou a un positionnement géostratégique enviable qui lui confère une fonction de port de transit par excellence sur la côte du Golfe de Guinée.
Il est à ce titre, le premier port de transit, des économies sous-régionales.
Il dessert les pays de l’hinterland, tels que le Mali, le Burkina Faso, le Tchad. Il est également le premier port de transit du Niger, pays frontalier totalement enclavé.
C’est justement ce statut de pays de l’hinterland, enclavé sans façade maritime qui confère au Niger des droits et privilèges que le Bénin ne peut violer sans conséquences graves pour l’image et le trésor du pays.
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D’abord, explorons les exigences des normes internationales du commerce de transit relatives aux pays sans littoral.

Sans aller dans trop de détails, examinons simplement le préambule de la Convention relative au commerce de transit des Etats sans littoral faite à New York, le 8 juillet 1965.
Les états, parties à la convention,
Rappelant qu’en vertu de l’article 55 de la charte, les Nations Unies sont tenues de favoriser les conditions de progrès économique et la solution des problèmes économiques internationaux,
Prenant acte de la résolution 1028 (XI) de l’Assemblée Générale relative aux pays sans littoral et à l’expansion du commerce international qui reconnaît « … qu’il est nécessaire que les pays sans littoral jouissent de facilités de transit adéquates si l’on veut favoriser le commerce international… », invite les gouvernements des Etats membres « … à reconnaître pleinement dans le domaine du commerce du transit les besoins des Etats membres qui n’ont pas de littoral et, en conséquence, à accorder auxdits Etats des facilités adéquates à cet égard en droit international et dans la pratique, compte tenu des besoins futurs qui résulteront du développement économique des pays sans littoral »,
Rappelant l’article 2 de la Convention sur la haute mer qui dispose que, la haute mer étant ouverte à toutes les nations, aucun Etat ne peut légitimement prétendre en soumettre une partie quelconque à sa souveraineté et l’article 3 de ladite convention qui dispose de ce qui suit : « 1. Pour jouir des libertés de la mer à l’égal des Etats riverains de la mer, les Etats dépourvus de littoral devraient accéder librement à la mer.
Ensuite, examinons les clauses de l’ordonnance régissant les relations du Bénin et du Niger au Port de Cotonou.
L’exploitation du port de Cotonou par le Niger est bien régie par l’Ordonnance N° 70-10 du 7 février 1975 portant ratification de l’Accord entre le Gouvernement de la République du Dahomey et le Gouvernement de la République du Niger sur l’utilisation du Port de Cotonou et sur le Transit signé à Niamey, le 5 janvier 1975.
L’article 1er dudit Accord dispose : « Le Gouvernement de la République du Dahomey réserve au gouvernement de la
République du Niger, dans le cadre du présent Accord, le droit d’usage du Port de Cotonou pour tout ce qui concerne le trafic des voyageurs ou des marchandises à destination ou en provenance du Niger ».
Article 2 « La République du Dahomey s’oblige à assurer aux navires nigériens, aux navires affrétés par le Niger ou aux navires assurant l’approvisionnement du Niger, à leurs marchandises ou à leurs passagers, un traitement égal à celui de ses propres navires dans le port de Cotonou, en ce qui concerne la liberté d’accès de ce Port, son utilisation et la complète jouissance des commodités qu’elle accorde à la navigation internationale et aux opérations commerciales y afférentes ».
Eu égard à ces obligations contractuelles, le Bénin est-il fondé ou pourrait-il se permettre une telle liberté en décidant unilatéralement et d’autorité d’interdire l’accès du port de Cotonou au Niger conformément à l’avis sus indiqué ou imposer aux opérateurs économiques nigériens les trois régimes mentionnés dans la note circulaire N° 1923/23/PAC/DG/DCM/DFAC/SC du 18 octobre 2023 sans courir d’énormes risques ?
La réponse est non. Les autorités béninoises font courir au Bénin un contentieux lourd de conséquences.

Par ailleurs, la décision du DG/PAC est financièrement intenable et budgétairement suicidaire pour le Bénin.

« La bonne connexion des ports avec leur hinterland est l’un des facteurs clés de la croissance et du désenclavement des territoires en Afrique ». Patrick CLAES (La maîtrise de l’hinterland, clé de voûte du versant terrestre).
Avant d’examiner les conséquences budgétaires de la décision du DG/PAC, examinons rapidement la portée des trois régimes proposés aux importateurs nigériens pour les marchandises en attente d’enlèvement au port de Cotonou.
La mise à consommation désigne le régime douanier d’un produit dont on peut disposer librement sur un territoire. Seuls les produits mis à la consommation peuvent faire l’objet d’un commerce. La TVA et les autres taxes nationales sont, en règle générale, dues dès la mise à la consommation.
Les produits commandés par les opérateurs économiques nigériens et livrés au port de Cotonou sont en transit avec les règles y afférentes. Au nom de quel droit le Bénin pourrait-il contraindre le Niger à mettre à la consommation au Bénin les produits commandés par lui pour ses besoins locaux et dont souffre sa population depuis plus de trois mois du fait de la décision unilatérale de fermeture des frontières avec le Niger ?

Qui va supporter les charges de dédouanement des produits nigériens à mettre à la consommation au Bénin ?

Le changement d’itinéraire/destination. Le commandant d’un navire possède, en outre, la faculté d’interrompre une croisière, d’en modifier l’itinéraire pour des raisons de force majeure, des raisons opérationnelles ou pour des exigences de sécurité des passagers ou du navire.
Alors que les marchandises des importateurs nigériens sont bloquées depuis des mois dans le port de Cotonou en raison de la fermeture des frontières par le Bénin, en demandant à ces derniers un changement d’itinéraire alors que les navires avaient atteint leur destination finale qui était Cotonou, qui prendrait en charge le réembarquement des conteneurs ainsi que leur acheminement vers un autre port où ils pourraient être récupérés par les clients nigériens ?

Le transbordement / la réexportation.

Le transbordement est l’expédition de marchandises ou de conteneurs vers une destination intermédiaire, puis vers une autre destination.
La réexportation, également appelée commerce d’entrepôt, est une forme de commerce international dans laquelle un pays exporte des marchandises qu’il importait auparavant sans les modifier.
Dans le cas d’espèce, le port de Cotonou étant le port de transit du Niger qui est un pays de l’hinterland dont les produits sont en transit, à qui incombera le surcoût que va engendrer cette décision unilatérale du Bénin imposée aux importateurs nigériens de reprendre leurs produits vers une autre destination ?
Sur le plan budgétaire, les conséquences de la suspension des chargements des marchandises aux ports d’origine à destination du Niger au port de Cotonou seront désastreuses pour l’économie et les finances béninoises. En effet, le Niger est un partenaire stratégique de premier ordre au port de Cotonou. Il n’est pas exagéré de dire comme le Président YAYI en avait l’habitude que le port du Bénin est également le port du Niger.
Environ 50 à 60 % des flux de marchandises importées au Bénin sont destinées aux pays de l’hinterland. Corrélativement, presque 50% des recettes douanières du Bénin proviennent de la Recette Douane Port. Par quelle alchimie le Trésor public pourrait- il compenser ce manque à gagner ?
En raison de la mal gouvernance, de la chasse aux opérateurs économiques nationaux prospères, le bâillonnement des libertés publiques en cours depuis 2016, la plupart des commerçants jadis installés au Bénin ont migré dans les pays de la sous-région : Togo, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria. Du coup, pour faire tourner l’Etat, une pression fiscale s’exerçait déjà sur les particuliers, les artisans et petits commerçants en place. Faut-il davantage les surcharger au point de les asphyxier pour compenser le manque à gagner qui résulterait du départ du Niger du port de Cotonou ? Le Bénin joue gros.
Au total, cette mesure irréfléchie et irresponsable de suspension des chargements des marchandises aux ports d’origine à destination du Niger prise par les autorités portuaires vient compliquer la posture du gouvernement béninois dans la crise de fermeture des frontières avec le Niger.

Cette décision de suspension créera au Gouvernement béninois deux difficultés : l’une juridique et l’autre budgétaire.

La première difficulté est juridique parce que la décision est illégale. Le Bénin fera face à un gros contentieux qui naîtra de cette décision unilatérale qui viole les conventions internationales et l’ordonnance relative à l’usage du port de Cotonou par le Niger. Le Bénin doit se préparer à faire face à un contentieux commercial international.
La seconde difficulté est d’ordre budgétaire.
Sur le plan budgétaire, cette décision malencontreuse du DG port est suicidaire pour le gouvernement à bien d’égard. Lorsqu’on sait que la moitié du trafic de marchandises au port de Cotonou est destinée aux pays de l’hinterland et particulièrement au Niger et que 50% des recettes douanières du Bénin proviennent de la Recette Douane port, renoncer délibérément de recevoir au port de Cotonou les importations du Niger, c’est réduire considérablement l’assiette des droits de douane du Bénin et par conséquent une importante part de ressources budgétaires.
Fort de ce qui précède, quelles seraient les ressources compensatoires envisageables pour combler le déficit évident que laisserait l’absence du Niger au port de Cotonou ?
Quelle alternative possible pour compenser le manque à gagner que va induire La suspension des chargements des marchandises aux ports d’origine à destination du Niger qui transitent par le port de Cotonou ?

Il urge que les autorités béninoises changent de posture, fassent profil bas et négocier la reprise des relations bilatérales avec le Niger sinon les mois à venir seront difficiles à tenir en raison de la diminution drastique du trafic au port de Cotonou et par ricochet de recettes douanières.

D’un autre point de vue, à examiner de près la décision du DG/PAC, elle frise le chantage et cache une difficulté de trésorerie du port, de Bénin Control, de la douane et par conséquent du trésor béninois puisque le principal pourvoyeur de trafics au port de Cotonou n’a pas accompli les formalités de transit et d’enlèvement des marchandises commandées qui séjournent depuis trois mois dans l’enceinte portuaire.
La suspension des chargements des marchandises aux ports d’origine à destination du Niger apparaît comme un chantage et un jeu de cache-cache puisque depuis la fermeture des frontières du Bénin à Malanville bloquant du coup les camions contenant des marchandises en transit, le Niger avait déjà commencé à délaisser petit à petit le port de Cotonou au profit des ports voisins en l’occurrence le port de Lomé qui capte désormais le trafic naturel du Bénin.
Monsieur le Président Patrice TALON, la balle est dans votre camp. A vous de bien la jouer !
Que Dieu sauve le Bénin du pire.
DJENONTIN-AGOSSOU Valentin
Ancien Ministre de l’Economie Maritime,
des Transports Maritimes et des Infrastructures Portuaires.



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