Bénin

Culture & Découvertes : Agadja-tin, l’arbre mystérieux de Savi, une merveille nationale

Judicaël C. GBETO 14/07/2022 à 13:50

Feuilles sous terre, racines pointées vers le ciel, le jeune iroko spectaculairement planté par le roi Agadja en 1727 à Savi, a grandi et est resté un symbole caractéristique de l’histoire du Dahomey. Haut de ses 295 ans de vie, cet héritage culturel et cultuel suscite d’énormes curiosités au plan national et international. Une équipe de la rédaction de votre journal est allée à la source de l’information sur cette merveille nationale. Des intellectuels et sages de la localité, François BOKO notamment, autorités locales et administratives, responsables religieux et populations, ont prêtés flanc à notre curiosité.

Si l’histoire du Dahomey était une chaîne, les événements survenus à Savi, dans les années 1727 en seraient un maillon important. Avides de pouvoir et de conquêtes, les Rois qui se sont succédé sur le trône d’Abomey ont bravé monts et vallées pour écrire leur nom en lettre d’or sur les pages sacrées de l’histoire du Dahomey. Traditionnellement 5ème Roi d’Abomey, Agadja, surnommé « le Conquérant » (1711-1740) est le Souverain sous qui, Savi est officiellement entré dans l’histoire du Bénin.
« Après avoir conquis le royaume d’Allada en 1924, Agadja a mis le cap sur Savi qu’il réussit à conquérir avec ruse trois années plus tard. S’il n’a pas pu conquérir Allada, il ne peut pas conquérir Savi », a confié le sage François BOKO, enseignant à la retraite depuis plus de deux décennies. Le Roi Houffon étant contraint à la fuite, Agadja a montré sa suprématie sur ce royaume en mettant sous terre, un arbre qui deviendra aujourd’hui, une curiosité internationale » ; Agadja-tin (arbre de Agadja), de son vrai nom.

Agadja-tin, l’arbre qui laisse la science sans paroles …

Le contre-pied d’Agadja qui donne du fil à retordre aux scientifiques est sans références. Pour monter sa puissance et son contrôle sur le royaume de Savi, Agadja n’a pas choisi n’importe quel élément symbolique. Il a préféré s’immortaliser à travers un arbre fort et sacré d’Afrique subsaharienne, de la famille des Moraceae. De son nom scientifique Milicia excelsa, le jeune Iroko planté au cœur de Savi était spécialement rapporté d’Abomey par le Souverain.
Ce qui attire le monde entier vers ce phénomène naturel, c’est sa position. Il est scientifiquement connu que ce sont les racines sous terre qui nourrissent toute plante. Mais Agadja n’aura pas besoin de la science pour s’immortaliser. Lors de la plantation du jeune Iroko, il a pointé ses racines vers le ciel et mis ses feuilles sous terre. C’est donc en position renversée que cet arbre va grandir et passé la barre des 295 années. A ce jour, il reste énigmatique, présente toujours ses racines au ciel et n’est sûrement pas prêt de disparaitre de la surface de la terre de si tôt. Les années passent et, deux autres plantes parasites ont trouvé refuge dans sa ceinture. A travers lui, vit toujours le Souverain, selon certaines conceptions.

Quid de la version de ce musicien traditionnel

Djego Vincent de Paul alias « Se-Xwi », artiste musicien traditionnel, natif de Savi, raconte à Afrik.com que l’installation des « Danxome-nou » (habitants de Danxome) n’a pas été une mince affaire. Il enrichit son propos en nous apprenant que les tout premiers représentants de Danxome ont été fauchés par la foudre. Il a fallu donc qu’Agadja par le biais de « Soglo », le spécialiste de la foudre de sa cour royale, fasse mettre en terre un iroko dénommé « Soloko » (Iroko de la foudre en français) après des rituels hardis. Cet arbre mystique, planté feuilles sous terre et racines en haut (sens contraire à la normale) est la formule efficace ingénieusement trouvée par Agadja pour contrer la foudre. Depuis lors à Savi, quoiqu’il se passe, la foudre n’a plus droit de cité. Soloko n’a pas bougé d’une iota de sa place initiale à ce jour et semble toujours, dans sa posture actuelle, narguer royalement dame foudre.

La vie en communauté en confections « parallèles » …

Situé à 8km de Ouidah sur l’axe Ouidah-Allada, Savi regorge de richesse culturelle et cultuelle. En dehors de Agadja-tin ou Soloko ; on y trouve aussi « Bo-tin », le plus vieil arbre fétiche de la ville ; le palais royal et son roi (le chef actuel) et également la forêt sacrée « Yênuzun », lieu rituel de transit des esclaves destinés à la déportation.

Nonobstant la domination de la religion endogène à Savi, on note la présence de nos jours, de plusieurs autres conceptions religieuses, notamment les Catholiques, les Chrétiens Célestes, les Musulmans, les Protestants, les Témoins de Jéhovah, et d’autres. La plupart de ces dernières y sont depuis plus de 50 ans, avec comme records, l’arrivée de la religion catholique qui célèbre cette année, ces 100 ans d’existant à Savi. La paroisse catholique étant implantée à seulement quelques 100m de Agadja-tin, symbole cultuel et purement endogène. La mosquée à quelques 150m et les autres non loin de celles-ci. Une question taraude tout de suite les esprits. Quelles sont les relations entre les adeptes et fidèles de ces religions « parallèles » ?

La question de la cohabitation entre les religions …

Interrogés sur la question, hommes d’églises et hauts dignitaires de ces religions endogènes, mais aussi les autorités administratives révèlent que la cohabitation est parfaite et qu’aucun conflit n’a jamais eu lieu. A en croire le Devancier de l’Eglise du Christianisme Céleste El-Béthel de Savi, Marius Takon, « la religion Céleste est arrivée ici à Savi à la suite de l’avènement de celle Catholique. Et depuis toutes ces décennies de vie commune, que ce soit raconté ou vécu, je ne me rappelle pas avoir connaissance de situations conflictuelles entres adeptes et chrétiens. C’est un don que Dieu même a fait à cette localité, comme c’est le cas à Ouidah même entre le Temple de python et la Cathédrale ».

La version d’Amadou, fidèle musulman de la Mosquée centrale de Savi ne sera pas différente. Le religieux confesse que « la cohabitation avec les autres religions et surtout la religion endogène est sans couacs. Ils savent respecter nos pratiques, nous respectons les leurs. On s’accepte et se comprend aisément lorsqu’il s’agit de situations qui auraient pu, sous d’autres cieux, conduire à de petites guerres sanglantes entre croyants ».
Au nom des autorités administratives de Savi, le Chef d’arrondissement témoigne qu’il s’agit d’une « localité éprise de paix ». « C’est une population pacifique. On ne dirait pas qu’il y a une pléthore de confessions religieuses. Il n’y a jamais eu antagonisme entre fidèles et adeptes », a confié le CA Brice ERIOLA. Le discours n’a pas changé avec les hommes chargés de la sécurité de la localité. Le commissariat n’a jusqu’aujourd’hui recensé aucun trouble à l’ordre dans ce sens dans une zone ou se côtoient des populations parmi lesquelles chacun a choisi librement sa religion.

Une fête identitaire à l’honneur du Agadja-tin…

La 15 août de chaque année, les populations de Savi se retrouvent pour célébrer leur fête identitaire. C’est-à-dire une fête initiée à l’intention de cet arbre, merveille culturelle et touristique du Bénin et du monde. Certains se plaisent à l’appeler, la fête du Agadja-tin. Elle est semblable à ‘’Nonvitcha’’ dans le Mono, la ‘’Gaani’’ dans le Nord du Bénin, le ‘’Wémèxé’’ à Porto-Novo et environs, et bien d’autres encore. Charlotte Soglo, une descendante de la famille Soglo à Savi raconte : « c’est une fête comme toutes les autres initiées et célébrées dans nos contrées qui réunit les populations de toutes les religions présentes dans la localité. C’est la preuve que ces populations ont appris à aller au-delà des clivages culturels et cultuels qui disloquent généralement les peuples partout dans le monde, et surtout en Afrique.
Ces instants de retrouvailles entre filles et fils de Savi qui regroupent tout le monde sont le signe d’une union entre les familles. Dans quelques semaines, cette fête aura lieu et honorera une fois de plus, cette population qui sait s’unir pour montrer la force d’une « famille ». C’est dire qu’à Savi, adeptes et religieux savent se côtoyer puisque chacun respecte son couloir.




 
 

 
 
 

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